Mais, dira-t-on, la condamnation
d’un criminel est un acte particulier. D’accord ; aussi cette condamnation
n’appartient-elle point au souverain ; c’est un droit qu’il peut conférer sans
pouvoir l’exercer lui-même. Toutes mes idées se tiennent, mais je ne saurais
les exposer toutes à la fois.
Au reste la fréquence des supplices est toujours un signe de faiblesse ou de paresse dans le Gouvernement. Il n’y a point de méchant qu’on ne pût rendre bon à quelque chose. On n’a droit de faire mourir, même pour l’exemple, que celui qu’on ne peut conserver sans danger. A l’égard du droit de faire grâce, ou d’exempter un coupable de la peine portée par la loi et prononcée par le juge, il n’appartient qu’à celui qui est au-dessus du juge et de la loi, c’est-à-dire au souverain. Encore son droit en ceci n’est-il pas bien net, et les cas d’en user sont-ils très rares(1). Dans un Etat bien gouverné il y a peu de punitions, non parce qu’on fait beaucoup de grâces, mais parce qu’il y a peu de criminels : la multitude des crimes en assure l’impunité 1 Parce que la grâce est un acte particulier et semble donc incomber au gouvernement |
lorsque l’Etat dépérit. Sous la République romaine
jamais le Sénat ni les Consuls ne tentèrent de faire grâce ; le peuple même
n’en faisait pas, quoiqu’il révoquât quelquefois son propre jugement. Les
fréquentes grâces annoncent que bientôt les forfaits n’en auront plus besoin,
et chacun voit où cela mène. Mais je sens que mon cœur murmure et retient ma
plume ; laissons discuter ces questions à l’homme juste qui n’a point failli,
et qui jamais n’eut lui-même besoin de grâce(2).
2. Remarque qui peut être interprétée soit comme marque de sensibilité, soit d'hypocrisie. |