On demande comment les
particuliers n’ayant point droit de disposer de leur propre vie(1) peuvent
transmettre au souverain ce même droit qu’ils n’ont pas(2) ? Cette question ne
paraît difficile à résoudre que parce qu’elle est mal posée. Tout homme a droit
de risquer sa propre vie pour la conserver. A-t-on jamais dit que celui qui se
jette par une fenêtre pour échapper à un incendie, soit coupable de suicide ?
A-t-on même jamais imputé ce crime à celui qui périt dans une tempête dont en
s’embarquant il n’ignorait pas le danger ?
Le traité social a pour fin la conservation des contractants. Qui veut la fin veut aussi les moyens, et ces moyens sont inséparables de quelques risques, même de quelques pertes. Qui veut conserver sa vie aux dépens des autres, doit la donner aussi pour eux quand il faut. Or le Citoyen n’est plus juge du péril auquel la loi veut qu’il s’expose, et quand le Prince(3) lui a dit : il est expédient à l’Etat que tu meures, il doit mourir ; puisque ce n’est qu’à cette condition qu’il a vécu en sûreté jusqu’alors, et que sa vie n’est plus seulement un bienfait de la nature, mais un don conditionnel de l’Etat(4). SUITE |
Pour une étude approfondie, il faut consulter l'ouvrage publié dans la collection "les intégrales de philo", collection dirigée par Denis Huisman. Edition Nathan. Les notes explicatives ont été trouvées, dans ce livre, Rousseau, Du contrat social( p. 55 à p. 56)
1. Pour Rousseau, le suicide est inacceptable:" Ne dis pas non plus qu'il t'est permis de mourir; car autant vaudrait dire qu'il t'est permis de ne pas être un homme, qu'il t'est permis de te révolter contre l'auteur de ton être, et de tromper ta destination..." (La Nouvelle Héloïse, III, lettre XXII, Pléiade, tome II, p. 390
2. Voir Locke, Deuxième Traité du gouvernement civil, IV, paragraphe 23. " Incapable de disposer de sa propre vie, l'homme ne saurait, ni par voie conventionnelle, ni de son propre consentement de se faire esclave d'autrui, ni reconnaître à quiconque un pouvoir arbitraire, absolu de lui ôter la vie à discrétion." 3. Le Prince désigne le gouvernemt. 4. Le rigorisme de Rousseau sur la question des peines annonce celui de Kant, et pas les idées libérales de son contemporain, Beccaria, auteur du traité "Des délits et des peines (1764), hostile à la peine de mort. Michel Onfray déboulonne Rousseau |